Forton,Louis-Adolphe (Sées,14 mars 1879 - St-Germain-en-Laye 15 février 1934)

Dessinateur et scénariste, il use de pseudonymes divers comme : Tom Hatt, Tommy Jackson, W. Paddock dans l'American illustré mais aussi de celui de Piccolo dans l'Epatant ou le Petit illustré.

 

Il y a un peu plus de 73 ans mourait Louis Forton (1879-1934). Il est temps de le faire sortir de l’oubli ! Avec deux bandes dessinées (les Pieds-Nickelés et Bibi Fricotin) il régna sur les jeudi du premier tiers du XXe siècle et enchanta de nombreuses générations de gamins aux genoux couronnés de mercurochrome.
Quand, en 1908, il crée les Pieds-Nickelés, Forton invente la bande dessinée populaire, celle du peuple des faubourgs, des Titis parisiens et autres Gavroches en opposition à la bourgeoisie bien pensante qui trouvait davantage son bonheur dans la contemplation des planches de Bécassine.
Si ses Pieds-Nickelés ont participé à la guerre de 14-18, ils ne sont pas militaristes pour autant. Comme leur père, ils se méfient de l’Autorité. Avec Forton on plonge dans l’irrévérencieux. A l’instar des chansonniers, il brocarde les travers de la IIIe République, celle des profiteurs de tous poils. Nouveaux riches et gogos sont ses têtes de turcs préférées. D’ailleurs il n’hésite pas à inviter les puissants du jour à passer dans ses planches.
C’est comme ça, en passant, que Forton invente la bande dessinée politique et la bande dessinée militante. Le racisme ? Ribouldingue, le barbu, est marié avec Manounou, une noire plantureuse que l’on retrouve dans quelques histoires. La police et la justice ? C’est la vieille histoire de Guignol rossant le gendarme. Forton est opposé à la peine de mort et le prouve dans les pages oubliées de "Attractions sensationnelles". Personne n’échappe à son coup de patte. Dans ce même album, il illustre également les passe-droits dont bénéficient certaines personnalités. La grosse dame du pousse-pousse ne s’exclame-t-elle pas « Ca m’est égal, (je suis femme de sénateur) je ne paie pas ! » Dans un autre album (les Pieds-Nickelés ont le filon) il dénonce la corruption d’un député. Née d’une bonne intention, la prohibition (aux Etats-Unis) fait partie de ces grandes mesures ineptes et inutiles qui ne sont bénéfiques qu’à la pègre. Bon vivant et amoureux de la bonne chair, Louis Forton ne pouvait faire moins qu’en montrer les travers.
Les héros de Forton bénéficient d’une morale élastique mais ils ne sont pas méchants. Les Pieds-Nickelés se refusent à voler les émigrants expulsés d’Amérique et s’en prennent aux passagers de première classe, pendant que, dans les albums qui lui sont consacrés, au même moment, Bibi Fricotin fait des tours de potache. Par le biais de ses personnages et s’attachant au peuple de "la France d’en bas", c’est un portrait historico-sociologique que brosse Forton.
Venant du peuple et plaisant au peuple, les Pieds-Nickelés sont une BD populaire au sens noble du terme. Par leur attitude, les personnages de Forton font plus penser à des Robin des Bois maladroits qu’à des gangsters de haut-vol, nous sommes loin du roman noir. Il y a du Gaulois en eux, c'est cet aspect frondeur – que chaque français aime retrouver en lui – qui fut cause de leur succès. Serions-nous devenus trop sages aujourd’hui pour ne plus nous reconnaître en eux et laisser Forton dans l’oubli ?

Louis Forton naît le 14 mars 1879 à Sées (Orne), où son père exerce la profession de piqueur d'attelages. Quelques années plus tard, il suit ses parents à Marly-le-Roi où son père ouvre un commerce de chevaux. Elevé dans une atmosphère hippique et équestre, il fut tour à tour garçon d'écurie, lad, puis jockey et il gardera toute sa vie le goût de la fréquentation des champs de courses.
C’est là, qu’à vingt-cinq ans, il fait la connaissance des frères Offenstadt qui l'engagent comme dessinateur dans le journal L'Illustré (1904), où, en juillet de cette année, il publie L'Histoire du sire de Ciremolle. Il va dès lors multiplier les collaborations avec de nombreux titres L’Illustré, bien sûr, mais aussi Le Jeudi de la jeunesse, Le Journal moderne, Diabolo Journal ou l'American illustré pour lequel il dessine de nombreux récits sous divers pseudonymes de style anglo-saxon (Tom Hatt, Tommy Jackson, W. Paddock, etc.). En 1906, l'Illustré cesse sa parution mais est très vite remplacé par le Petit Illustré, Forton en devient l'un des fournisseurs attitrés. Dans ses premières bande dessinée figurent Les aventures de Séraphin Laricot, publiées (en 1907-1908) dans l'American Illustré, suivies l'années d'après de deux autres séries Les Exploits d'Isidore MacAron et Anatole Fricotard, puis Ce p'tit n'amour d'enfant. Parallèlement, pour les frères Offenstadt, Forton réalise de nombreuses illustrations dans la Vie en culotte rouge et dans la Vie de garnison, les fameux journaux spécialisés dans la gaulo-grivoiserie à destination des militairest. Il dessine également dans Polichinelle, « hebdomadaire humoristique de la famille », publié par Flammarion et le Petit Illustré amusant.
Forton dessine de tout, partout. Des illustrations, des gags et des histoires illustrées comme on disait alors. Et en 1908, les éditions Offenstadt intensifient leur conquête du marché de la littérature enfantine en lançant l’Epatant. Face aux journaux du groupe Gauthier-Languereau qui visent les enfants de la bonne bourgeoisie, le nouveau titre des Offenstadt revendique un statut d'illustré populaire. Ce support fait une place importante au calembour facile, à la grosse farce. On y trouve notamment les Années de service de Théodore Tiroflanc et les Fortes Émotions de Bacchus Tordboyaux. Au numéro 9, daté du 4 juin 1908, Louis Forton amorce une nouvelle série appelée à un auguste destin : les Pieds Nickelés.
Ce sont eux, les Pieds Nickelés, qui vont faire de ce titre le plus célèbre des illustrés du premiers tiers du siècle. Dès les premières planches, ils remportent un extraordinaire succès. Après une interruption due à la guerre (du 6 août au 26 novembre 1914), l'Épatant lança ses Pieds Nickelés à l'assaut des "Boches" avant de les expédier aux Etats-Unis (n° 669 du 26 mai 1921). Cet épisode – qui donnera lieu au premier album « classique » des Pieds Nickelés – ne sera publié qu’en 1929 sous le titre les Pieds Nickelés se débrouillent.
Mais Forton ne se contente pas de ce triomphe, il veut plus encore et crée d'autres bandes dessinées comme : Le Cavalier Baluchon (1909), Les Tribulations de Berlingot (1917), Les 26 métiers de Caramel (1920)… sans retrouver le même succès et puis, en 1924 dans le Petit Illustré apparaît : Bibi Fricotin, un jeune garçon débrouillard. Ce véritable titi parisien gouailleur et farceur aura une vie parallèle à celle des Pieds Nickelés. Lui aussi, avec des pères différents, traversera triomphalement le XXe siècle.

Atteint d'une cirrhose, Louis Forton décède, à l'âge de 54 ans, au cours d’une intervention chirurgicale, à Saint Germain en Laye, en 1934.

 

Une des dernières planches de Forton, parue dans le Cri-Cri du 6 juillet 1933

Quelques articles parus dans la presse à l'occasion du centenaire des Pieds Nickelés