La presse pour enfants n'a pas échappé
aux joutes qui opposaient les Français lors des grands débats
sur la séparation des Églises et de l'État. Les
éditeurs chrétiens tentaient de lutter à armes
égales contre une presse qui se développait dans un monde
en voie de sécularisation.
La Maison de la Bonne Presse, orientée
vers le monde des jeunes et enfants chrétiens du monde rural,
lance tour à tour L'Écho de Noël (1906-1907),
L'Étoile Noëliste (1914-1935) et Bernadette
(1923-1940). En vis-à-vis, la Société Parisienne
d'Édition des frères Offenstadt, lance L'Épatant
(1908-1960, pour lequel seront créés les Pieds
Nickelés), Cri-Cri (1909-1968) et L'Intrépide
(1910-1937).
Pour illustrer cette confrontation, Manon Pignot, de l'université
d'Amiens, a comparé les revues La semaine de Suzette
et Fillette lors du colloque sur les presses enfantines chrétiennes
qui s'est tenu à Arras en décembre 2004.
La Semaine
de Suzette
La Semaine de Suzette est une création des éditions
Gautier-Languereau. C'est un hebdomadaire destiné aux filles.
Bien que la publication ne soit pas confessionnelle, la connotation
chrétienne est forte. Elle accorde une place de choix à
la morale religieuse et souligne que le catholicisme "est l'enseignement
de l'amour d'autrui." Le texte domine, mais l'image et la
couleur n'en sont pas moins présentes. C'est un douze-pages de
format 22x 32 cm. La structure du journal n'a pas subi de modification
entre les deux guerres: une histoire en images à la une, deux
romans feuilletons illustrés, une double page centrale récréative
et des rubriques inspirées de la presse féminine : cuisine,
couture, etc. Le numéro 1 est paru le 2 février 1905.
Fillette
Quatre ans plus tard, les éditions Offenstadt créent Fillette.
La volonté de plagier La Semaine de Suzette n'échappe
à personne. L'architecture de Fillette est le calque
de celle de Suzette avec toutefois un accent supplémentaire
accordé au dessin et à la bande dessinée. Son prix
trahit une volonté d'attaque frontale : 5 centimes au lieu de
10.
Dès 1905, le peintre Joseph Pinchon et le scénariste Caumery
(pseudo de Maurice Languereau), créent Bécassine
dans Suzette. Pour Fillette, M. Vallet et Jo Valle
imaginent L'espiègle Lilli. Alors que
Suzette dispose d'un courrier des lecteurs auquel "Tante
Jacqueline" répond régulièrement, c'est une
"Tante Édith" qui répond aux lectrices de Fillette.
En 1915, Suzette propose à ses lectrices de devenir
marraines de guerre. Fillette emboîte le pas un an plus
tard.
La grande trouvaille de La Semaine
de Suzette est "Bleuette". Bleuette est une poupée
que les filles doivent habiller elles-mêmes. Pour cela, le journal
leur offre chaque semaine un patron de couturière. Bleuette a
été napolitaine, Bécassine, alsacienne, etc. Elle
a même été boulonnaise en 1915 et en 1930. Dès
sa création, Fillette imagine sa propre poupée:
"Friquette".
La destinée commune des deux
hebdomadaires a été confirmée avec leur disparition
simultanée en 1940 et leur réapparition en 1946. La
Semaine de Suzette a cessé de paraître en 1960. Fillette
a résisté jusqu'en 1964.
J. Capelain