Brève histoire de la S.P.E.

Les éditions Offenstadt-SPE sont apparues à la fin du XIXème siècle et ont traversé le XXème où elles ont laissé une empreinte profonde dans l’inconscient collectif avant de disparaître vers 1990. Société d’éditions ambitieuse, elles ont fait paraître tout à la fois des magazines et périodiques divers et des albums regroupant des histoires parues dans leurs divers titres.

C’est dans la bande dessinée qu’elles furent le plus fécond mais ce ne fut pas leur seul domaine d’activité, la grivoiserie et le comique troupier furent d’importants chevaux de bataille lors de leurs débuts à la fin du XIXème siècle. Cependant cette partie de la production des frères Offenstadt ne sera qu’évoquées ici et nous nous axerons plus particulièrement sur le domaine de la bande dessinée.

Comment retracer une histoire longue d’un siècle ? Six grandes parties, chacune respectant la chronologie.La première, sera consacrée à retracer l'histoire de la société d'édition, la seconde détaillera les journaux, revues et autres magazines qui créèrent le fond Offenstadt-SPE. La troisième partie abordera les albums, prolongement logique et débouché économique naturel des premiers. Enfin, une quatrième partie présentera les principaux auteurs de la SPE et, petit bonus, quelques publicités sont incluses pour rappeler que notre société (ce qu'on peut déplorer) est toute entière axée sur l'économie. Enfin, en annexe, formant la dernière partie, outre des interviews (glanés sur le net) d’auteurs parlant de leurs débuts chez Offenstadt, j’ai jugé utile de reproduire le texte de la loi de 1949 sur la protection de la jeunesse.

Les frères Offenstadt et la S.P.E.

A côté des albums (pour certains) encore réédités de nos jours et bien connus du public, les Frères Offenstadt et la SPE ont développé, depuis le début du XXème siècle, une tradition d’édition de journaux et magazines populaires et bon marché où la plupart de ses albums parurent en prépublication. A cette époque, en France, la clientèle visée par la publication de bandes dessinées est un public préadolescent voire enfantin. Deux courants vont rapidement émerger, l’un que l’on peut qualifier de bourgeois (bon chic, bon genre) se tournera vers des titres comme Belles images (1904), la Semaine de Suzette (1905) ou l’Echo du Noël (1906) qui sont édités principalement par des maisons comme Gauthier-Languereau. Le principal succès de ces bandes, Bécassine de Caumery et Joseph Porphyre Pinchon, paraîtra dans la Semaine de Suzette dès le premier numéro (2 février 1905). Le second courant, plus populaire sinon populiste, va se cristalliser autour des éditions Offenstadt qui lancent sur le marché l'Illustré (1904), l’Epatant (1908), Fillette (1909), l'Intrépide (1910) ou Cri-cri (1911). Ici, le succès va très vite se focaliser avec la naissance, en 1908, des Pieds Nickelés de Louis Forton dans l’Epatant. Les trois héros de la série retrouvant - tout à la fois - et en les rajeunissant l’esprit de Guignol rossant le gendarme et la vieille tendance française anarchiste d’opposition à tout ce qui est autorité. Mais les deux courants se rejoignent sur un point, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis, les bandes ne comportent que très peu de phylactères et sont toujours publiées avec le texte sous l’image. Ce n’est qu’en 1925, avec Zig et Puce, qu’Alain Saint-Ogan en imposera l’emploi en France. Pour leur part, les frères Offenstadt s’y opposeront énergiquement encore une dizaine d'années et leur usage ne sera généralisé qu'après la guerre.

Les débuts

Bien avant de se consacrer à la littérature enfantine, les frères Charles et Georges Offenstadt s'associent et débutent, en qualité de reprographes, rue Jean-Jacques Rousseau à Paris. Cette modeste activité consiste à réaliser des copies manuscrites de lettres commerciales. Leur boutique connaissant un certain succès, les deux frères s’associent à trois autres de leurs frères (Maurice, Nathan et Villefranche) puis déménagent au 23 de la rue Richer et se lancent dans la publication de romans légers (jugés licencieux à l’époque).

En février 1902, paraît leur premier journal La Vie en Culotte Rouge, un hebdomadaire polisson où de jeunes et fringants militaires taquinent de jolies jeunes filles. Conçue pour un public de militaires (depuis 1889, la durée du service militaire a été ramenée à 3 ans, pour un effectif de 610 000 hommes en période de paix), La Vie en Culotte Rouge ne dépare pas les publications du genre et fait appel sans compter à un comique troupier très populaire à cette époque. Une production bien éloignée des revues enfantines qui ne cessera de leur être reprochée et, qui victime de la censure, cessera de paraître en 1912, plus sobre, Le Régiment va le remplacer.

Dès cette époque, les frères Offenstadt cherchent à se diversifier pour augmenter le nombre de leurs lecteurs et ils visent la cible la plus large possible: la famille. En février 1904, ils lancent un nouveau titre Mes Cartes Postales, sous titré Journal illustré de la famille, ce ne fut d’abord qu’une simple feuille de papier autour d’une planche de 8 cartes postales à découper. Mais il contenait également des histoires en images qui ont fait de lui le premier véritable illustré Offenstadt.

Quelques mois plus tard, en mai de la même année, c’est la naissance de l'Illustré à 5 centimes qui se tourne davantage vers la jeunesse avec des bandes dessinées plus nombreuses. Parmi ses auteurs, ce magazine de 12 pages compte de nombreuses valeurs montantes comme Louis Forton qui fait ses premières armes, Tybalt ou Thomen. La baisses des prix de revient (clichage et impression en couleurs) autorisant cette ouverture vers le public enfantin en permettant des prix de vente de 5 ou 10 centimes.

Les Offenstadt ne seront pas les seuls à partir à la conquête de ce nouveau marché. Mais ils vont axer davantage leurs productions vers le divertissement plutôt que la pédagogie. Editeurs populaires ils étaient, ils le resteront choisissant un créneau différent de celui des « bien-pensant » emmenés par La semaine de Suzette (où trône Bécassine) des éditions Gautier-Languerneau, ceux-ci (qui éditent également La Veillée des chaumières) ont adopté une ligne éditoriale claire : une seule bande dessinée et des histoires morales ou éducatives, le tout agrémenté de quelques leçons de couture. Les loisirs des enfants doivent être employés de façon utile et saine.

La marche au succès

Ce n’est pas la voie empruntée par les éditions Offenstadt qui vont se tourner massivement vers la bande dessinée en conservant souvent un humour hérité de leurs débuts. Le succès est immédiat et, une nouvelle fois, les éditions vont déménager, s’installant au n°3 de la rue de Rocroy. C’est là que seront conçus les nouveaux titres du groupe dont l’Epatant en 1908 et Fillette en 1909.

Selon la légende, c’est sur un champ de courses que les frères Offenstadt rencontrèrent Louis Forton. Une rencontre qui allait marquer l’histoire de la bande dessinée française avec la création des Pieds Nickelés qui paraissent pour la première fois, le 6 juin 1908, dans le n° 9 de l’Epatant. D’une moralité douteuse, ces trois malandrins qui parlent argot (un scandale !) et se font un malin plaisir de ridiculiser l’autorité vont révolutionner la bande dessinée et intégrer (insidieusement) l’inconscient collectif, leur nom passant comme expression dans le langage courant.

Mais les Offenstadt n’oubliaient pas leurs premiers succès. La recette du comique troupier marchait toujours bien en France où l’on ne manquait pas une occasion d’exalter (même indirectement) la fibre tricolore revancharde, les "Boches" occupaient toujours l’Alsace-Lorraine. Le 22 avril 1909 verra la parution de la Vie de garnison. Un hebdomadaire où le mauvais goût est loin d’être absent et ce n’est pas La Carrière militaire d’Onésime Balluchon, une bande dessinée par Forton qui remonte le niveau.

Cette même année 1909, les Editions Offenstadt souhaitant renouveler avec les filles le succès de l’Epatant chez les garçons, font paraître, le 21 octobre, le premier numéro de Fillette qui est destiné à concurrencer La semaine Suzette (lancée en 1905 par les éditions Gautier-Languerneau). Ce nouvel hebdomadaire, qualifié par ses détracteurs « de pâle copie de la Semaine de Suzette » voit apparaître dès ses premiers numéros l'Espiègle Lili, dessinée par André Vallet sur un scénario de Jo Valle. Dans cette première version, Lili est une malicieuse petite fille blonde qui joue des tours pendables à son entourage. Pour lui inculquer les bonnes manières, ses parents décident tout d’abord de la mettre en pension puis de l’expédier en Angleterre…

Une nouvelle fois le succès répondra à l’appel. Autour de ces deux titres phares les frères Offenstadt vont construire un empire de presse et régner sur les publications enfantines. La raison de leur triomphe résidait dans la nouveauté de ton de leurs magazines axés vers un vrai divertissement, ils cessaient de prendre les enfants pour de petits singes savants.

L’appétit des frères Offenstadt semble insatiable et la création de nouveaux titres va continuer, chacun trouvant régulièrement un public, en 1910, L'Intrépide va s‘implanter dans le domaine aventures et voyages mais en accordant une place privilégiée aux nouvelles et romans à suivre. L’un des auteurs fétiches en sera José Moselli, un ancien navigateur dont les récits passionneront les lecteurs. En 1911 c’est la naissance de Cri-cri ; en 1912, celle de l'Inédit et des Romans de la Jeunesse

La première guerre mondiale

Il va de soi qu’un tel succès ne va pas sans susciter de nombreuses jalousies. Les Offenstadt, devançant tellement leurs concurrents, sont presque en situation de monopole. Une situation d’autant plus mal supportée qu’elle s’accompagne, notamment au travers des Pieds Nickelés, d’une remise en cause de l’autorité et d’un quasi encouragement de l’anarchie. La IIIème République est un état bourgeois qui n’apprécie pas trop que l’on chahute ses bases et les origines juives des frères Offenstadt n’arrangent pas les choses, l’affaire Dreyfus est dans toute les mémoires.

Dès le début du siècle, l'Abbé Louis Bethléem (+1940) est à la tête d'une croisade de moralisation. Les frères Offenstadt deviennent vite sa bête noire. « Les publications Offenstadt forment une gamme où la truculence, d’abord absolue, va s’édulcorant. "L’Épatant" est à une extrémité. "Fillette" à l’autre. "Le Petit illustré" occupe une position intermédiaire. [...] Somme toute, c’est amoral, terre à terre, et pas du tout recommandable. [...] Un journal comme "Fillette" ne peut pas être toléré. Il ne mérite que le blâme. [...] "L’Intrépide" ne présente rien de bon et devrait être sévèrement interdit à la jeunesse. » L'abbé pousuivra sa croisade avec "Romans à lire et romans à proscrire". Dans ce catalogue insensé, il assassine la plupart des ouvrages, peu d'auteurs trouvent grâce à ses yeux. Il y écrit que les contes des frères Grimm sont "des romans enfantins et ceux d’Andersen des "romans de collège […] qui peuvent être généralement laissés entre toutes les mains", les contes de Perrault appellent la prudence : "ces récits, dans l’édition complète, contiennent parfois des expressions un peu fortes et trop libres pour les enfants". Les éditeurs chrétiens sont donc invités à "revoir" les contes, et tout particulièrement leurs moralités.

L'abbé Bethléem n'aimait décidement pas les Offenstadt et entendait bien poursuivre sa croisade morale. La guerre ne mettra pas fin à ses griefs, loin de là ! Voilà ce qu'il écrivait à leur sujet dans la Revue des lectures, qu'il dirigeait le 15 mars 1933.

C’est dans ce contexte qu’éclate la Première guerre mondiale. Un contexte, une époque où la moindre étrangeté peut engendrer le pire. L’origine judéo-germanique des parents Offenstadt et la grivoiserie de leurs précédentes publications suffisaient pour lancer une campagne visant à les discréditer.

L’Echo de Paris n’est pas le dernier à mener cette campagne en écrivant "Permettre que des Allemands ou des naturalisés de fraîche date puissent contribuer à l'empoisonnement moral du pays est véritablement intolérable" (1er janvier 1917). Accusé d’être un espion à la solde du Reich, l’un des frères sera même arrêté. Charles Offenstadt assurera sa défense par un droit de réponse dans L’Echo de Paris, rappelant que La Vie en culotte rouge a cessée de paraître depuis plusieurs années et que l’amalgame entre littérature enfantine et pornographie n’était pas admissible. Il ajoutait également que ses frères combattaient sous les couleurs françaises, espérant clore le débat "des naturalisés de fraîches dates".
La guerre frappaient la presse enfantine comme celle des adultes. Les diverses publications étaient désorganisées, les responsables et les dessinateurs rappelés sous les drapeaux, les restriction de papier entraînant une diminution de format ou de pages, la couleur supprimée pour raisons d’économie… Mais les frères Offenstadt étaient frappés par un autre handicap : leur nom ! De consonnance germanique, leur patronyme pouvait prêter à confusion, dès le début des hostilités, les Editions Offenstadt mentionnaient sur leurs unes : Maison française !

Extrait de La Croix d'Honneur, n° 96 du 5 novembre 1916

A la fin de la guerre, les frères Offenstadt, nés en France et désirant être considérés comme Français à part entière et non comme des naturalisés, se tourneront vers la Justice. Une demande qui ne sera pas satisfaite, l’instruction de l’affaire traînera en longueur. Devenus méfiants, ils adopteront finalement une nouvelle raison sociale pour leur maison d’éditions, ce sera la Société Parisienne d'Edition.

Mais la ferveur patriotique est telle que de nouveaux titres émergent pour valoriser le courage français et stigmatiser la barbarie des "Boches". Chez Offenstadt, en 1915, La Croix d’Honneur remplace Les Romans de la jeunesse « afin de publier des narrations, nouvelles et anecdotes de la guerre, ainsi que de nombreuses illustrations prises dans les champs de bataille ». Tandis que La Jeune France hissait fièrement le drapeau tricolore du 14 mars 1915 au 22 septembre 1918. Cet hebdomadaire, sous-titré Histoire illustrée de la guerre 1914-1915 à ses débuts publia essentiellement des bandes militaires (non signées) en récits complets sur un numéro

De nouveaux titres pour favoriser l’effort de guerre mais les anciennes publications suivaient la même tendance et dans L’Epatant, les Pieds Nickelés ne mégoteront pas. Envahissant l’Allemagne à eux trois ils allaient, détruisant les usines Krupp au passage, ridiculiser le Kaiser et les troupes allemandes.

L'âge d'or de la bande dessinée

La guerre terminée, les frères Offenstadt continuaient d’approvisionner la jeunesse en journaux et périodiques, de nouveaux titres continuaient d’apparaître en 1919 c’était Lili, en 1921, Les Histoires en images, et, en 1924, le Pêle-Mêle. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Mais dans l’ombre, de l’autre côté de l’Atlantique, la concurrence aiguisait ses armes et, le 24 octobre 1934, un magazine d’un style nouveau paraissait dans les kiosques. Comme « un coup de tonnerre dans un ciel bleu », le Journal de Mickey créait une fracture dans le paysage éditorial français avec des séries au graphisme révolutionnaire pour l’époque (Mickey ; Jim la jungle ; les Malheurs d’Annie ; Pim, Pam, Poum). Les suiveurs allaient emboîter le pas, les premières, les éditions Del Duca lançaient Hurrah !..dès le 5 juin 1935 avec d’autres bandes américaines (Brick Bradford ; le Roi de la police montée). Un an plus tard, cet éditeur persiste en lançant L’Aventureux pendant que la Librairie moderne publie Aventures avec Raoul et Gaston ou Buck Rogers et Le Fantôme du Bengale. Paul Winckler, éditeur du Journal de Mickey, ne relâche pas ses efforts et lance Robinson qui vise un lectorat un peu plus âgé avec Mandrake, Guy l’Eclair et Popeye.

Le coup est rude pour la SPE des frères Offenstadt maintenant (depuis 1930) au 43 de la rue de Dunkerque qui voient s’effriter leur chasse gardée. Devant la catastrophe annoncée, ils réagissent en créant Junior dont le premier numéro sort le 2 avril 1936. Cet hebdomadaire de format géant (55 x 39 cm) va combiner les bandes américaines et françaises. La une affichera Tarzan de Hal Foster tandis que les pages intérieures accueilleront Terry et les pirates de Milton Caniff, Capitaine Fouchtroff (alias Pim, Pam, Poum) de Rudolph Dircks, Alley Oop de V. Hamlin et Charlie Chan d’Alfred Andriola tandis que les bandes françaises seront représentées par l’extraordinaire Futuropolis de Pellos.

Dans la foulée, c’est le Petit illustré qui interrompt sa publication le 16 avril 1936 à son 1644ème numéro pour reparaître, trois jours plus tard. Le 19 avril 1936, reprenant sa numérotation au début, il poursuit les aventures de Bibi Fricotin, dessiné par Gaston Callaud depuis le décès de Forton (1934) mais consacre sa une aux aventures de Félix le chat d'Otto Messmer et Pat Sullivan.

Poursuivant leur politique de rajeunissement de leurs titres les frères Offenstadt se penchent alors sur L’Intrépide dont le format augmente au 1377ème numéro, le 10 janvier 1937. Deux nouvelles séries apparaissent, l’une de René Giffey sur un scénario de Jean Normand narre les aventures de Malabar et l’autre, dessinée par Mat, Les extraordinaires aventures de César Napoléon Rascasse. Le changement effectué ne sera pas à la hauteur des attentes puisque L’Intrépide s’éteindra le 20 juin avec son numéro 1400. Il sera remplacé la semaine suivante par Hardi ! qui fusionnera avec L’Epatant au terme de 22 numéros.

Un Epatant dont l’ancienne gloire est maintenant ternie et qui va se voir attribuer un format géant, identique à celui de Junior. Malheureusement le succès ne sera pas à l’arrivée et la surface du journal sera réduite de moitié avant de revenir à ses dimensions initiales. Pendant ce temps Cri-cri s’américanisait à son tour en accueillant, dessinés par Mat, Les Mésaventures de Laurel et Hardy. Une bande à succès qui va amener le journal a adopter en sous-titre : le journal du Club Laurel et Hardy. Mais en 1937, cet hebdomadaire disparaît au profit de Boum ! qui, outre Laurel et Hardi, recueille également Les aventures acrobatiques de Charlot de Thomen.

Mécontents de ne pas avoir retrouvé leur position dominante antérieure, les frères Offenstadt lancent alors, le 4 avril 1937, L’As, un nouvel hebdomadaire, héritier du Petit Illustré. Avec une ligne éditoriale proche de celle de Junior mais d’un format plus classique, L’As publie les grandes signatures françaises de l’époque : René Giffey, Calvo, Gaston Callaud (Bibi Fricotin) mais aussi des Américains Milton Caniff (Terry et les pirates), Harold Foster et Rex Maxon (Tarzan), Dick Calkins et Phil Nowland (Buck Rogers).

La seconde guerre mondiale

Avec la Seconde guerre mondiale et l’Occupation, la presse est mise sous l’éteignoir. Les journaux à destination de la jeunesse ne sont pas épargnées. La pénurie de papier mais aussi (et surtout) une stricte censure frappent tout les titres. Plusieurs éditeurs choisiront de s’installer en zone libre, certains vont ainsi avoir deux éditions, l'une en zone libre et l'autre en zone occupée. Mais plusieurs titres s’éteindront définitivement. C’est le cas de ceux édités par la SPE dont les lois anti-juives dépossèdent les frères Offenstadt. Leur maison d’éditions est placée sous tutelle allemande par l'intermédiaire du trust nazi Hibbelen. Junior et Fillette s'éteignent alors pour laisser place à des journaux qui n’hésitent pas à se lancer dans la collaboration.

L’un des plus représentatifs est Téméraire qui, sur du papier de bonne qualité et des encrages parfaits, distille la propagande nazie par le texte et l’image, montrant aux jeunes Français la dégénérescence morale des Anglo-américains et des Russes. Erik, André Liquois, Vica, Raymond Poïvet ou encore Etienne Le Rallic mettront leur talent au service de cette idéologie. A noter que Poïvet, à la Libération, entrera à Vaillant, édité par le Parti communiste… En Belgique, Hergé (qui a continué de travailler dans Le Soir devenu collaborateur) se verra interdire de reprendre une activité dans la presse et subira une période de purgatoire en attendant queRaymond Leblanc (un ancien résistant) lance le Journal de Tintin.

L'après-guerre

La guerre terminée ne sonne pas le glas des déboires de la SPE. Les frères Offenstadt ont du mal à récupérer leurs biens, les nazis les ayant vendus en août 1944 au suisse E.G. Locher. En juillet 1945, le tribunal civil de la Seine annule les cessions opérées sous l'occupant et en novembre une information est ouverte pour retrouver les actionnaires du temps de la collaboration. Ainsi donc, enfin sorti de tous ces imbroglios juridiques, la vraie SPE reprend du service en publiant le premier numéro de Fillette le 2 mai 1946 suivi en juin par Album Junior.

La presse pour enfants renaît de ses cendres, les titres anciens ou nouveaux fleurissent à qui mieux-mieux, mêlant bandes françaises ou américaines. Soucieux de remettre sur pieds leur maison et de retrouver le succès du demi-siècle précédent les dirigeants de la SPE, héritiers d’une vieille tradition populaire, vont chercher, avec plus ou moins de succès à faire revivre les titres fameux comme l’Epatant ou Fillette qui, dès le début du siècle, firent leur réputation auprès de nombreuses générations de lecteurs. Une fois encore journaux feront appel aux vieux héros de Forton : Les Pieds Nickelés et Bibi Fricotin (respectivement repris par Pellos et Pierre Lacroix) pour leur servir de locomotive. Aggie l'Américaine fait ses premiers pas dans Fillette, précédant de deux ans une espiègle Lili ressuscitée sous la plume et les crayons de Bernadette Hiéris et Al. G.

La SPE se réveille et tente de renouer avec ses anciens succès Coquelicot, journal du Junior voit le jour le 30 janvier 1947. Reprenant le format géant de Junior, son ancêtre d’avant-guerre, il n’en conserve, hormis Tarzan, que peu de bandes américaines favorisant les dessinateurs français (Pellos, Mat, Lacroix) qui constituaient son ancienne écurie. Pourtant ce sera un échec et Coquelicot, qui entre-temps avait pris le nom de Junior ne paraîtra que 27 numéros et disparaîtra le 27 juillet 1947.

Les aléas économiques et la courbe des ventes amèneront la SPE à jongler en reprenant des titres anciens pour les rebaptiser peu après avant de les recréer sous un titre antérieur. Une politique où les lecteurs auront du mal à se retrouver. Cependant les temps ont changé et, malgré tous ces efforts, le charme n’opère plus et face aux nouveaux journaux (Spirou, Tintin, Vaillant, Mickey) la sauce ne prend pas hormis pour Fillette qui revit depuis 1946.

La loi de 1949

La bédéphobie récurente de certains milieux n’était pas récente, elle remontait aux années ’30 et à la parution du Journal de Mickey. Le principal reproche fait à ces magazines était de corrompre la jeunesse et ses idéaux. Sous la pression conjuguée des différents groupes d’influence (communistes, presse, catholiques, enseignants et intellectuels) le Parlement va adopter, le 16 juillet 1949 , une loi destinée (officiellement) à protéger la jeunesse de la débauche. Son autre but, inavoué celui-là, était de limiter l'essor de la bande dessinée étrangère, voire de l’éradiquer totalement des magazines français.

Son article est très clair : « Les publications visées à l'article 1er ne doivent comporter aucune illustration, aucun récit, aucune chronique, aucune rubrique, aucune insertion présentant sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche ou tous actes qualifiés crimes ou délits ou de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse (loi n°54-1190 du 29 nov.1954) ou à inspirer ou entretenir des préjugés ethniques ».

Un tel texte, s’il avait été scrupuleusement appliqué, aurait condamné Pim, Pam, Poum où des bandes biens innocentes mettant en scène le Père Lacloche ou Charlot. Heureusement pour eux, les Pieds Nickelés, qui se trouvaient toujours « fauchés comme les blés » à la fin de chaque histoire, échappaient ainsi aux ciseaux de dame Anastasie. Montaubert, de son vrai nom Pierre Colin (juge de paix dans le civil), qui signa la majorité des scénarios des Pieds Nickelés de 1948 à 1983 reconnaît y avoir mis du sien " Évidemment, j'ai modéré mes élans, très encouragé dans ce sens par l'éditeur. Si l'on ne m'avait pas muselé, j'aurais fait des histoires plus virulentes, plus anarchistes, plus proches de l'esprit de Forton dont il n'est resté que le parler argotique". D’anarchistes les Pieds Nickelés étaient devenus de petits escrocs. Seize ans après la mort de Forton, une loi assassinait ce qui était devenue une tradition française. Le passé était enterré et une page de la bande dessinée, un petit pan, mais un pan tout de même de la culture française était jeté aux orties.

De nombreuses bandes américaines, conçues dans un autre cadre, n’échappaient pas à la vindicte de cette loi et à ses ciseaux aveugles, Donald était contraint à se saborder, Zorro, L’Astucieux, Tarzan disparaissaient à leur tour.

Pellos, qui venait de reprendre les Pieds Nickelés, estimait que la bande dessinée était faite « pour des esprits jeunes de 7 à 70 ans ». Mais il ne cautionnait pas cette chape de plomb :

" J'ai trouvé là quelque chose d'injuste et je me suis un peu fâché. Mais dès le départ, j'avais prévu la chose. Je savais que cela allait exister. Et j'ai donc évité certaines mauvaises actions que les Pieds Nickelés auraient pu faire en période normale. Les Pieds Nickelés ont été interdits dans les prisons, dans les églises..."

Plutôt que de se voir interdire, il va donc, comme tous ses confrères, pratiquer une autocensure préventive. Ce n’est qu’avec mai 68 et son célèbre, « il est interdit d’interdire » que ce régime draconien allait commencer à s’assouplir.

René PELLARIN dit PELLOS

Si l’article 2 de la loi était clair, le paragraphe 19 des " Recommandations de la Commission de Contrôle", en annexe de cette loi allait encore plus loin en enfonçant le clou :

Le texte de la loi de 1949 " La morale étant l'ensemble des règles pratiques du comportement humain, on peut dire que tout ce qui tend à désinsérer l'individu du cadre normal de son comportement peut être considéré comme étant de nature à le démoraliser, au sens large du mot. L'invraisemblance morale tend directement à démoraliser le lecteur ; l'invraisemblance physique et l'invraisemblance biologique y tendent indirectement. A la limite, l'exagération dans l'invraisemblance peut contribuer à caractériser l'infraction à l'article 2 de la loi du 16 juillet 1949. "

Avec cela les Super-héros des comics américains peuvent aller se rhabiller. En 1969, Fantask publiée par la Lug avec Les 4 Fantatstiques de Jack Kirby et Stan Lee ; Le Surfer d’argent de John Buscema et Stan Lee ; et Spiderman de Steve Ditko et Stan Lee, tomberont sous les coups de cette loi.

La commission de censure évolua entre intimidation et répression, frappant principalement des bandes comme Tarzan, Le Fantôme du Bengale ou Fantax. Le climat de renouveau moral qui s’ensuit va favoriser les illustrés éducatifs et militants. Du côté catholique c’est Cœur Vaillant qui en bénéficie tandis qu’à l’autre bout de l’échiquier politique le communiste Vaillant tire les marrons du feu, ce qui ne l’empêche pas de se doter de bandes directement inspirées de modèles américains : Yves le loup de Bastard et Ollivier louche nettement du côté du Prince Valiant d’Harold Foster.

La loi de 1949 entraîne une mise sous le boisseau d’une certaine forme de créativité qui va pour un temps anesthésier la bande dessinée française et, bizarrement, favoriser deux titres belges qui seront les grands gagnants de ce combat. Le Journal de Tintin et Le Journal de Spirou vont donner naissance à ce que l’on appelle l’école franco-belge avec ses deux chapelles : celle de Bruxelles et celle de Marcinelle.

La fin d'une époque

Hormis Fillette qui est devenu le titre phare de la SPE, celle-ci ne connaîtra plus de grands succès de presse. Elle va frénétiquement se lancer dans une recherche qui n’aboutira qu’à perturber ses lecteurs avec de fréquents changements de titres et de formats. Journal des Pieds Nickelés, l’Epatant, Joyeuse Lecture, Journal de Bibi Fricotin, Pschitt Junior, Trio, etc. Ce n’est plus une avalanche, c’est un déluge mais cela se traduit surtout par une hémorragie de lecteurs.

Pourtant le public suit les valeurs vedettes créées par Forton. Pellos a repris les Pieds Nickelés, s’il en modernise le graphisme, qui se trouve maintenant à la limite de la caricature, il en préserve néanmoins une partie de l’esprit frondeur du trio mais les scénarios (pour la plupart de Montaubert) ne font plus preuve du même radicalisme. Pellos va emmener les Pieds Nickelés jusqu’au début des années ’80 mais, bridés par la loi de 1949, ils ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes.

Un changement d’ordre similaire se produit avec Bibi Fricotin, passé des mains de Louis Forton à celles de Gaston Callaud puis de Pierre Lacroix, le jeune héros subit une évolution graphique moins importante mais l’esprit de la bande est radicalement transformé. Un avatar que Forton aurait du mal à reconnaître pour son enfant. Mais, ici encore, le public suit.

Le public suit, mais il suit de moins en moins les journaux pour se consacrer aux albums qui désormais assurent la survie de la maison qui est absorbée par les Editions Ventilard dans les années ’60. C’est la naissance de la SPE-Ventillard.
Devenu le principal journal du groupe Fillette va modifier sa formule à la fin des années ’60 pour devenir Fillette Hebdo avant de se transformer en un mensuel : Paul et Mic pour devenir enfin Quinze ans et passer sous le contrôle des éditions Filipacchi qui le fusionneront avec Salut ! En 1978, un ultime essai est tenté pour relancer la machine. C’est le lancement de Lili-Aggie Magazine. Ce ne sera qu'un feu de paille d’une dizaine de numéros.

Avec la fin des années 80 vient aussi celle la SPE-Ventillard. Les éditions Ventilard vont continuer, seules, leur route en se consacrant en particulier à la publication de revues spécialisées comme : Système D, Electronique pratique, Sono Magazine, C déco...

Vers une renaissance des héros de la SPE ?

Après l’arrêt de Pellos, les Pieds Nickelés reprennent temporairement leurs frasques sous le crayon de Jean-Louis Pesch (en 1981), puis de Jacarbo (en 1982-1983), de Jicka (de 1984 à 1988), de Laval (en 1987), de Gen-Clo et Cladères (en 1988) et enfin par ceux du studio Cadero (en 1991-1992) pour trois ultimes aventures. Tandis que dans une parodie, Julliard présentait les trois héros en vieillards.

Mais parallèlement, dès 1989, les éditions Vents d'Ouest font revivre les héros de la SPE. Elles commencent prudemment par les très populaires Pieds Nickelés de la période Pellos. Les éditeurs s'enhardissent dès 1993, en publiant les aventures d'autres personnages : Bibi Fricotin, Pim Pam Poum puis Aggie et Lili.

C'est d'abord une timide réédition de morceaux choisis qui nous est proposée. Puis, le succès se confirmant, les Pieds Nickelés de Pellos sont réédités dans leur intégralité et une sélection des albums de l’Espiègle Lili par Al. G. parait lentement. Suivant un choix contesté par certains amateurs qui s’étonnent de ne pas voir reparaître les premiers titres.

En 1996, les éditions Vents d'Ouest crée la surprise en ressuscitant Lili avec un premier album Lili chez les top-models, suivi, deux ans plus tard, de Lili à Chérie FM.